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Le tai chi chuan : une réponse à la déliance

déliance Tai chi Style Sun - Simple fouet Eric Caulier

La déliance désagrège nos structures pourvoyeuses d’identité. Le tai chi est l’une des voies qui nous permet de nous relier à nous-même et à l’environnement.

Déliance

Camus parlait de la fourmilière d’hommes seuls, Sardou chantait les villes de grande solitude et Lipovestsky dénonçait l’ère du vide. Ces vingt dernières années, nous n’avons fait que nous enfoncer un peu plus dans l’ère de la foule solitaire. Fourmilière au sein de laquelle chacun exécute une tâche de plus en plus parcellisée, travail en miettes à l’image de la société. Au cœur de cette réalité, les groupes sociaux primaires (la famille, le village, la paroisse, l’atelier) se sont disloqués, désintégrés. Ces structures pourvoyeuses d’identité se sont désagrégées. Certains sociologues tel Marcel Bolle de Bal parlent à ce sujet de déliance.

Condamnés à réussir

Cette déliance n’est pas que sociale, elle est culturelle car elle touche les différents aspects de la vie. Les hommes sont de moins en moins reliés à eux-mêmes, de moins en moins reliés aux autres, de moins en moins reliés au monde. De façon paradoxale, plus se multiplient les reliances techniques (téléphone portable, courrier électronique, moyens de déplacement, …), plus se délitent les reliances affectives, sociales et culturelles. Nous sommes happés par les événements, pressés par une multitude de petites choses inutiles, l’urgence a envahi nos vies. La quête du «zéro défaut» a quitté l’enceinte de l’entreprise. Dans une société qui ne veut plus connaître que le succès, il faut gagner à tout prix : « on est condamné à réussir ». De plus en plus d’individus soumis à un stress permanent se consument intérieurement et disjonctent : c’est le coût de l’excellence.

Bricoler son propre système de croyances

Mais pour quel avenir nous battons-nous ? Personne ne le sait : ni les religions, ni les politiques, ni les sciences ne sont en mesure de nous donner de vraies réponses. Nous n’avons plus de réels projets collectifs d’avenir. Le débat n’est plus entre réforme et révolution, il s’agit d’accompagner et d’encadrer tant bien que mal des changements qui, dans leur fond, se soustraient à nos prises.

Dans ce processus de déliance, dans cette phase de dissolution alchimique, nous avons gagné en liberté, en autonomie. Le sens n’est plus dicté, ni imposé par une entité ou une institution supra-individuelle, il est à constituer singulièrement par chaque individu. Chacun choisit son propre système de croyance, bricole sa propre religiosité et détermine ses propres valeurs ; il devient entièrement responsable de ses choix et de lui-même. Le sens ne vient plus ni du dehors, ni du dessus, il est à trouver à l’intérieur de soi. Devant l’ampleur de ces bouleversements, Marcel Gauchet va même jusqu’à parler de mutation anthropologique.

Être branché

Nous avons un nouveau corps objectif (suscité par la médecine contemporaine) et subjectif (nous nous identifions à notre propre corps), nous vivons dans un nouveau temps (la pression extérieure accentue l’intensité de l’expérience temporelle) et nous assistons à l’avènement d’une nouvelle forme de relations entre les personnes (« je n’existe que dans la mesure où je suis branché avec d’autres »). Cette déliance polymorphe a provoqué l’émergence de nouvelles reliances.

Reliance par le taijquan

Le taijiquan tel que nous le pratiquons dans notre école est certainement l’une des voies qui peut nous aider à trouver en nous suffisamment de lucidité et d’énergie pour faire le deuil de ce que nous avons perdu, pour accueillir et construire le nouveau et surtout pour ne pas se perdre pendant le passage. Notre approche nous permet de nous reconnecter à nous-mêmes, aux autres et au monde en suivant la propension des choses. Nous découvrons, suivons et assumons notre propre chemin. Nous nous relions à la source de la vie et nous nous laissons traverser par le flux de la vie.
Transmettre cette voie n’est ni un travail, ni une occupation, ni un emploi, ni une activité, c’est une Œuvre.

Édito revu Espace Taiji n° 54 

Crédit photo : Almereca