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Tai chi : du qi gong au gong fu – De l’exercice du souffle à l’art de vie

Gong fu art de vie

Gong fu : une compétence pratique

La joie, pour Nietzsche, provient de l’augmentation de sa propre puissance. Celle-ci s’accroît non pas en tyrannisant son entourage mais en actualisant ses potentialités. L’individu qui développe une compétence pratique dans un domaine s’ancre dans le réel. Sa vie devient ainsi plus savoureuse. Cette connaissance et maîtrise de soi acquises dans une pratique transforment peu à peu le quotidien.

Les anciens Chinois avaient bien compris le rôle majeur du corps dans ce processus. Les arts martiaux en général et le tai chi chuan en particulier constituent des voies privilégiées pour l’obtention du gong fu. En situation de crise, l’expert perçoit de suite la direction et l’ampleur des agressions potentielles. Il évalue immédiatement ses ressources et celles que lui offre son environnement. Il se place spontanément à la bonne distance et s’ajuste aux micro-changements. Son calme intérieur permet de désamorcer la plupart des conflits.

Circulation du souffle et flow

Dans notre École de tai chi, nous étudions différents styles. Cette approche permet à chacun de trouver le style qui convient le mieux à sa morphologie et à son tempérament. Elle permet en outre d’incorporer progressivement ce qui est commun à tous les styles : l’utilisation optimale de ses ressources. Quel que soit le style et le nombre d’années de pratique, nous commençons toujours par des exercices de qi gong. En stimulant la circulation du souffle, nous nous réunifions et nous retissons du lien avec ce qui nous entoure.

Longtemps avant de débuter la pratique des arts internes, j’avais expérimenté à maintes reprises l’immersion dans le flow (gi gong) en parfait accord avec mon environnement (gong fu). Lors de compétitions sportives ou au cours de longues ballades en forêt, le temps se ralentissait, tout se faisait avec une aisance et une facilité déconcertante. Lorsque j’ai rencontré le tai chi chuan, j’ai eu l’intuition qu’il me fournirait les clés d’accès à ces états vécus spontanément.

Principes actifs dans des formes simples

Quelques décennies de pratique, de recherche et de transmission m’ont permis de mettre en évidence et de formuler les principes actifs de l’art de l’intégration et de les proposer dans des formes accessibles. La lenteur, la détente, l’unité, l’aisance, la fluidité sont les qualités principales cultivées dans les arts internes. Ce sont en fait les caractéristiques des flow expériences. La plupart des approches se perdent dans des détails insignifiants : exotisme, forme secrète, querelle d’Écoles, recherche de notoriété, etc. Divers détours fructueux m’ont permis d’expérimenter l’extrême importance de ces expériences optimales. Elles optimisent en effet la santé, les performances, la créativité et la réalisation de soi.

Ce que les maîtres du passé nous ont légué, ce ne sont pas des formes figées et dogmatiques, mais des manières de (se) questionner et d’agir afin de vivre un certain type d’expérience. Ces arts enseignés dans leur visée originelle rééduquent notre perception, nous montrent comment et à quoi être attentif.

Un agir plus authentique

En approfondissant, en intériorisant nos gestes, nous étendons et amplifions nos capacités cognitives. Nous découvrons en nous des ressources insoupçonnées. Nous sommes surpris de voir toutes les opportunités offertes par notre environnement. En acquérant des compétences corporelles, nous en venons à percevoir le monde autrement. Lorsque nous réintroduisons de la coopération et que nous accueillons le monde tel qu’il est, notre vision se clarifie.

En dépassant l’abstraction sans la nier, j’ai progressivement perçu la possibilité d’un agir plus authentique. Dans ces moments de splendeur, je suis envahi par un sentiment d’émerveillement et de gratitude. C’est cette voie, ce gong fu, qui me semble le plus intéressant à partager.

Édito revu Espace Taiji n° 105

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Crédit photo : Alain Kerkhofs