Eric Caulier

Corps : découvrir et mieux utiliser ses potentialités

Tai chi chuan - Style Sun - Corps -Ouverture - Eric Caulier

Tai chi chuan - Style Sun - Corps -Ouverture - Eric Caulier

Le corps est une vaste demeure

Avec l’abstraction croissante et le développement du virtuel, nous oublions de plus en plus que nous avons un corps, que nous sommes un corps, excepté lorsque celui se rappelle à nous via quelques dysfonctionnements.
Des pratiques telles que le tai chi chuan préviennent nombre de ces dysfonctionnements. Elles permettent, en outre, de vivre de multiples expériences inimaginables dans et à partir de notre corporéité. Celle-ci est une vaste demeure que nous habitons à peine. L’art de vie chinois permet de redécouvrir les trésors enfouis dans les caves ou cachés dans les greniers. Progressivement, il nous invite à explorer les moindres recoins et à faire le tour des abords.

Noeuds et trous

Lorsque nous commençons la pratique du tai chi, nous découvrons à quel point nous sommes « noués » et « troués » à différents niveaux : chair, perception et conscience. Je ne perçois pas certaines zones corporelles. Je n’ai pas conscience des trajectoires effectuées dans l’espace par les différentes parties de ma corporéitié. La répétition des mouvements fondamentaux délie graduellement les noeuds et remplit doucettement les trous. En avançant dans la pratique, je ressens mon corps en toutes circonstances. Je perçois sa vitalité lorsqu’il est en bonne santé. Je le ressens mais, en plus, je ressens avec lui. Son potentiel d’expressivité se réveille. Il redevient un remarquable outil de communication.

L’importance de la communication non verbale devient une réalité concrète. La pratique des mains collantes me sensibilise à l’écoute et à la compréhension de variations de plus en plus ténues chez mon partenaire (positionnement, tonus, rythme, intention). Mon corps, telle une antenne parabolique, devient capable de recevoir et d’émettre des ondes de plus en plus subtiles à des distances de plus en plus longues. L’empathie et la mise en accord avec mon environnement résultent bien de l’actualisation de dispositions corporelles.

Apprendre

Le monde change de plus en plus vite. Les savoirs dans tous les domaines sont de plus en plus rapidement obsolètes. Les formations deviennent de plus en plus longues. Toute notre vie, nous sommes sommés d’actualiser nos connaissances. La formation devient un processus continu. Nous sommes tous d’éternels apprenants. On nous demande d’apprendre à apprendre. Mais personne ne nous dit vraiment comment s’y prendre. Les sciences cognitives ont montré l’importance de la corporéité et de l’imagination dans tous les processus d’apprentissage. Les maîtres de tai chi chuan l’ont expérimenté depuis longtemps. Ce sont deux clés de leur méthode.
Ne nous trompons cependant pas : si notre société contemporaine se livre à une véritable apologie du corps, c’est pour le récupérer et en faire un objet de consommation. Une réelle ré-appropriation de celui-ci nous amène à démystifier son culte et à nous questionner sur sa prétendue libération.

Techniques corps-esprit

Toutes les disciplines s’intéressent aujourd’hui au corps, plusieurs centaines de thèses ont été réalisées en France ces 40 dernières années via une bonne cinquantaine de laboratoires travaillant plus ou moins directement sur cette thématique. Aux États-Unis, les universités les plus prestigieuses évaluent les effets des « techniques corps-esprit ». De multiples effets positifs sur la santé ont été mis en évidence dans la pratique du tai chi chuan. L’intitulé même « techniques corps-esprit » indique le positionnement : référence au paradigme dualiste, hérité de Descartes. Pour aller plus loin, il est nécessaire de dépasser cette vision. Quoi qu’il en soit, le corps ne peut être pensé que dans sa multiplicité, sa complexité et ses paradoxes. Au-delà des mots, le tai chi chuan nous permet d’expérimenter « que peut un corps ? », « que peut mon corps ? ».

Édito revu Espace Taiji n° 99

Crédit photo : Almereca

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