Linkedin
Non classé

Catégories : s’ouvrir pour les dépasser

Tai chi chuan Style Wu - Catégories - Séparer la crinière du cheval sauvage - Eric Caulier

Prisonniers des catégories

Lors d’une discussion récente avec une dame ayant pratiqué du taijiquan et du qigong, je me suis rendu compte à quel point la plupart de nos contemporains sont prisonniers des catégories. Pour elle, le taijiquan est un art martial et le qigong est un travail sur l’énergie. En fait, la plupart des adeptes du taijiquan le pratiquent comme un qigong. Peu sont intéressés par ses aspects martiaux.

Abandonner la confrontation

Le travail des « mains collantes » constitue un extraordinaire exercice d’empathie et d’échange d’énergie avec un partenaire. Il est pourtant évité par nombre d’enseignants et de pratiquants, sous prétexte de « confrontation ». L’opposition n’est pas, selon moi, dans l’exercice des mains collantes. Il est dans le subconscient de ceux qui le pratiquent. L’exercice ne fait que révéler un mode de fonctionnement. Beaucoup le dénomment d’ailleurs « poussée des mains ». Passer de la « poussée des mains » aux « mains collantes », c’est abandonner la confrontation pour entrer dans l’essence du taijiquan qui est « non opposition ».

L’important est dans la manière de faire

Pour moi, l’important n’est pas dans la discipline mais dans la manière de faire. Mes échanges avec l’artiste lyrique Louis Landuyt me le confirment. Certains de nos arts traditionnels recèlent une méthodologie conduisant à une remarquable maîtrise du souffle et de l’énergie. Ce pédagogue inventif pratique et enseigne donc un « qigong » du plus haut niveau. Le metteur en scène K.H. Eschrich est impressionné par la qualité de présence et le rayonnement de ce baryton habitant son corps avec naturel dans son activité.

Louis Landuyt réalise cette performance dans le non agir. Son excellente méthodologie s’appuie sur un travail postural précis et sur une utilisation intense des images et de l’intentionnalité qui rappellent étrangement la conception des arts internes en vigueur dans notre Ecole. Son « qigong des 5 sons » – ainsi le nommerais-je afin d’illustrer mon propos – volet introductif de sa méthode, permet de ressentir assez rapidement la résonance vocale libre. J’entre en résonance avec Louis car nos approches sont à la fois des recherches de micro-équilibres sans cesse changeants (taiji), des perceptions, gestions et amplifications des flux (qigong) ainsi que des méditations en mouvement (pleine conscience).

Tout art véritable se situe au-delà des catégories

À ce stade, il m’apparaît que tout art véritable se situe au-delà des catégories et que tout artiste vrai échappe aux étiquettes. Avec le retour du beau temps, les joggeurs sont de sortie. Une amie se/me questionnait sur les bienfaits du jogging. Dans mes jeunes années, j’ai été champion en athlétisme : en courses, sauts et lancers. J’étais dans la recherche de performance. Je voulais atteindre des objectifs : plus haut, plus loin, plus vite. C’est un mode de fonctionnement avec ses avantages et ses inconvénients.

Le coût de l’excellence

L’excellence a un coût. Elle est devenue un modèle de société. Il convient de faire des performances tout le temps et partout. La plupart des joggeurs se focalisent sur une distance à parcourir, un temps à réaliser ou les deux. Aujourd’hui quand, dans mes randonnées au travers de la campagne, je cours quelques centaines de mètres, je m’attache à la manière : appui des pieds au sol, sensations de ressort dans les jambes, d’amortissement dans la structure corporelle, détente des épaules et du visage, unité et fluidité du geste, respiration profonde, perception de mon environnement.

J’éprouve une grande joie à courir en percevant les micro-ajustements (taiji), la multitude des flux internes et externes (qigong) dans un état de conscience élargi (pleine conscience). Lorsque ces ressentis s’estompent, j’arrête de courir. Aujourd’hui encore, ces expériences vécues au-delà des frontières disciplinaires doivent être présentées dans le cadre d’une catégorie.

La catégorie qui m’échoit est le taijiquan. Je réalise cependant qu’un réel apprentissage, quel que soit le domaine, concerne la totalité de la personne et de ses facultés. Au-delà de telle ou telle étiquette, tout apprenant, avant d’accorder sa confiance, devrait s’enquérir de la pertinence des méthodes utilisées (compétences techniques), de l’aptitude à l’accompagner dans la singularité (art), des possibilités de transfert dans la vie quotidienne et dans d’autres activités (voie).

Édito revu Espace Taiji n° 96

Crédit photo : Almereca