Présentation
À la fois récit de voyage et mémoire spirituel nourri par l’expérience, le livre de Kevin Turner nous emmène à la rencontre d’authentiques chamanes dans les steppes et les villes de la Mongolie actuelle. En chemin, l’auteur, lui-même praticien chamanique, est témoin de cérémonies, de guérisons qui, tous, témoignent d’une riche culture vécue au quotidien.
Car le chamanisme est bien vivant en Mongolie. Après des siècles de répression et de persécutions par les pouvoirs bouddhiste puis communiste, il connaît aujourd’hui un immense regain de popularité, et l’on y recourt afin d’accéder aux « réalités non ordinaires » et au monde des esprits. En outre, Turner nous permet d’entrevoir ici un chamanisme universel et des principes communs aux traditions chamaniques du monde entier.
Le chamanisme mongol à la rencontre du monde : les défis de l’avenir
Le néo-chamanisme est tout à fait distinct de ce que moi-même et d’autres praticiens définissons comme le chamanisme universel. Le néo-chamanisme consiste à réunir et à mélanger pêle-mêle des cérémonies, des mythologies et des rituels puisés chez divers peuples autochtones, bien souvent empruntés, expropriés ou détournés sans compréhension ou presque des principes chamaniques sous-jacents (…)
Étant moi-même praticien chamanique, je suis troublé à la lecture des travaux d’anthropologues et d’autres chercheurs qui s’efforcent de comprendre le chamanisme selon une approche strictement « étique », c’est-à-dire de l’extérieur, et donc supposément neutre, objective et libre de tout préjugé culturel (…)
De nombreux chamanes accomplissent des voyages de l’âme dans d’autres mondes, quelques-uns décrivent leur activité de façon différente ; mais tous, d’une manière ou d’une autre, perçoivent les réalités spirituelles. Les chamanes n’ont pas tous la même définition des « esprits alliés », ni la même méthode de travail avec eux. Malgré tout, les structures profondes de la connaissance chamanique sont remarquablement cohérentes et consistantes. La plupart des chamanes servent effectivement leur communauté au moyen de leurs talents uniques, mais d’autres suivent leur propre voie, celle du guerrier vers la liberté, celle du sorcier vers ses propres intérêts ou celle du mystique vers l’isolement et l’absorption en soi (…)
Cette question du respect est à double sens. La plupart des chamanes avec qui j’ai parlé et travaillé au cours de mes séjours en Mongolie ont d’abord présumé qu’en tant qu’Occidental j’étais incapable de comprendre les réalités chamaniques. Les portes ne se sont ouvertes que lorsque j’ai prouvé que j’étais moi-même praticien. Pour explorer les chamanismes de Mongolie, j’ai préféré tenter une approche à la fois « étique » et « émique » (à la fois de l’extérieur et de l’intérieur), complétée par mon regard personnel de praticien des techniques chamaniques et de voyageur dans les réalités chamaniques, étayé par l’expérience.
Le respect constitue un autre problème dans la collecte d’informations exactes et complètes. Beaucoup de chercheurs respectent les cultures autochtones dans leur principe, mais n’accordent guère de crédit à l’efficacité réelle du chamanisme. Les chamanes le sentent tout de suite, ce qui les conduit bien souvent à rejeter ou à dédaigner les chercheurs, et à n’apporter à leurs questions que des demi-réponses prudentes. Tant que nous n’aurons pas plus de chercheurs praticiens, j’ose émettre l’hypothèse que nous n’obtiendrons, au mieux, qu’un tableau partiel du chamanisme.
Confirmer la guérison chamanique n’est pas toujours facile, c’est indéniable. Dans les « sciences dures » aussi, il est difficile d’être certain qu’un nouveau médicament ou une nouvelle technique médicale est bien à l’origine de l’amélioration de l’état de santé d’un patient. Même le rédacteur en chef de The Lancet, la revue médicale la plus connue et la plus respectée au monde, reconnaît qu’« une grande partie de la littérature scientifique, peut-être la moitié, pourrait être tout simplement fausse ».