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Évaluation formative et processus de croissance

Évaluation formative et processus de croissance

À partir de leur vécu

Notre École de tai chi fondée en 1987 propose depuis 1993 des stages d’approfondissement. Ces « master classes » se concluent par une évaluation formative. Les participants y présentent leur pratique ainsi que leurs questionnements/réflexions. La manière dont ils abordent les diverses composantes du geste – mécanique, perception, énergie, conscience – me surprend. Je suis admiratif de leur capacité de mettre en relation ces différentes strates. Ils le font à partir de leur vécu, de leur ressenti. Ils éprouvent les choses, ils y réfléchissent et puis seulement ils en parlent.

Indéniablement, nombre d’entre eux lisent. Ils ne focalisent pas leurs lectures exclusivement sur le tai chi, ils élargissent leurs pistes d’investigation. Leurs discours sur la circulation du souffle, sur la conscience du corps ou sur la transmission du geste touchent en profondeur parce que les notions extrême-orientales de qi (souffle), jing (énergie intrinsèque), yi (imagination active), shen (conscience) ne sont pas acceptées à priori. Ils les expérimentent dans leur pratique. Ils les viv(if)ent de l’intérieur et les reformulent avec leur propres mots. Ceux-ci porteurs de traces et sensations incarnées touchent les auditeurs dans leur chair.

Réinvention des formes

Les formes ne sont pas des dogmes. Ils les découvrent et les réinventent au travers des interprétations diverses qui leur sont proposées. Dans nos cours, et encore davantage dans les stages d’approfondissement, les mouvements les plus fondamentaux sont démontés et remontés sous tous les angles. Il en est de même des notions les plus fondamentales des arts internes (l’enracinement, l’aplomb, la circulation du souffle, etc.). Ces pratiquants les déconstruisent et les reconstituent constamment.

Ce processus véritablement alchimique  – succession de dissolution et de coagulation – se répète de multiples fois jusqu’à ce que solve et coagula se réalisent simultanément. Ce travail de purification (enlever les scories/les petits mouvements parasites) engendre une sublimation. Lorsque le pratiquant parvient à séparer le subtil de l’épais, ses mouvements sont lourds sans être empesés, tout en étant légers sans être flottants. Ses arguments acquièrent du poids et sa pensée devient fluide, subtile. Certains diront qu’il est plus « fin ».

Transposer les acquis

Lors de ces évaluations, nous reconnaissons d’abord les acquis ; ensuite, nous proposons des pistes d’amélioration. Cette façon de faire n’est pas habituelle dans une société qui exclut de plus en plus, qui sélectionne et ne retient que les « meilleurs », qui juge et sanctionne avant d’avoir pris la peine d’écouter. Notre pratique nous apprend à nous ouvrir aux possibles, à écouter, à comprendre. Nos exercices avec partenaire nous amènent à prendre contact avec l’autre avec beaucoup de douceur (dans le regard et le toucher), expression de l’empathie et de la bienveillance cultivées.

L’objectif de nos cours est bien d’investiguer les modes opératoires du tai chi chuan afin de mieux vivre. Notre approche tout entière vise à transposer les acquis de la pratique dans nos activités quotidiennes. Toutes les étapes des master classes – de la lettre de motivation à l’évaluation – invitent les participants à croître. La croissance se fonde sur la confiance. Ce sont ces choix, « coûteux » au début, féconds ensuite, qui caractérisent notre École. Des experts de divers domaines apprécient grandement de participer, comme membre du jury, à une telle aventure. Un tel environnement a, sans conteste, des conséquences dans la manière dont nos enseignants accompagnent leurs élèves.

Édito revu Espace Taiji n° 106