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Des formes extérieures à la forme intérieure

qi-gong-style wu - forme - Eric Caulier

Une multitude de formes

Le tai chi chuan est une suite de mouvements de déploiement et de repliement.
Pendant mes premières années de pratique, je me suis focalisé sur un seul style de taijiquan, sur une seule forme. J’ai eu la chance d’avoir un professeur qui me transmettait de bonnes bases. Il me faisait entrevoir diverses facettes de cet art de vie. Lors de mes premiers séjours en Chine, mon cadre de référence a explosé. J’avais rencontré – et il m’avait accepté comme élève – l’encyclopédie vivante des arts martiaux. Dans un mélange d’appréhension et de curiosité, je voyais s’exécuter sous mes yeux une multitude de styles, un nombre incalculable de formes. Presque malgré moi, j’ai été aspiré dans cette dynamique. Je pratiquais un enchaînement de mouvements et puis un autre.  J’en voulais toujours plus et j’en recevais à condition d’étudier aussi les bases … j’accumulais.

La grande forme

Et puis un jour, cette envie s’est tarie. J’ai continué à aller régulièrement dans l’Empire du Milieu. J’allais y chercher autre chose. Men Hui Feng était en était profondément heureux. Il pouvait me transmettre la forme intérieure, la grande forme : le moule qui est à l’origine des formes. Nous passions des heures à approfondir les mouvements les plus simples, les plus fondamentaux … je m’allégeais.

En enseignant

En enseignant, j’ai pris conscience de la complémentarité de ces deux phases. L’une prépare l’autre. En outre, dans le déploiement, il y a le germe de la condensation et dans le repliement, celui de l’amplification. En enseignant les cinq styles majeurs de taijiquan, je suis revenu inlassablement sur la question : qu’ont-ils en commun ? En accompagnant – avec quelques techniques issues du taijiquan – des sportifs, des artistes, des opérateurs sur des chaînes de montage automobile, des managers – j’ai été amené à mettre en évidence ce qui fonctionne dans le tai chi chuan.

Transmettre les principes agissants dans des formes adaptées

J’ai aussi dû apprendre à le présenter dans des formes simples, accessibles. Depuis quelques temps, je suis entré dans un travail de rassemblement, de synthèse. Celle-ci s’effectue à la fois sur les principes, les formes et la transmission. Comment transmettre les principes agissants du tai chi chuan dans des formes adaptées ? Le tai chi chuan propose un travail sur le souffle qui prend appui sur le corps pour toucher l’esprit. On assouplit et on tonifie le corps pour pouvoir le détendre sans surcharger les articulations. Les postures ouvertes et alignées combinées à l’alternance des mouvements d’ouverture et de fermeture installent le contexte pour qu’en nous « ça » respire. Nous redécouvrons la puissance de l’imagination. Nous imaginons un arbre pour percevoir l’enracinement, une rivière pour sentir le flux de l’énergie, une montagne pour laisser s’installer le calme.

Présence bienveillante

Nous apprenons à transformer les oppositions en complémentarités, d’abord seul puis dans notre rapport à l’autre. Nous redécouvrons ainsi le plaisir d’un mouvement unifié et la joie de l’interactivité sans opposition, ni fusion. Un geste doux et fort à la fois, des perceptions (r)éveillées, une meilleure écoute de soi et de l’autre, un mouvement animé de l’intérieur nous conduisent lentement vers un état de présence bienveillante. Lors des séances de tai chi chuan, tout à coup, notre pensée ordinaire se met en congé. Nous expérimentons alors une sorte d’agrandissement de nos limites personnelles. Cette mise en présence intensifiée avec nous-mêmes augmente la réalité, élargit le cadre dans toutes les directions. En faisant varier les focalisations, nous apprenons à diriger notre attention et de l’attention ciblée nous passons à l’être attentif en expansion.

Édito revu Espace Taij n° 98

Crédit photo : Almereca