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Le tai chi chuan comme valeur refuge

Le tai chi chuan comme valeur refuge

Besoin de reliance

Dans nos temps troublés où tout se déli(t)e, nombre de nos contemporains cherchent des «valeurs refuges». Le taijiquan répond en fait à ce besoin de reliance. La pensée extrême-orientale ainsi que les pratiques traditionnelles chinoises privilégient la relation. Dans des temps de perte d’identité et de repères, l’être humain a en outre tendance à s’inventer un monde idéal. Le besoin de reliance peut ainsi se transformer en adhésion à une «religion monothéiste dogmatique».

Croyants intolérants et athées endurcis

Dans l’univers du taijiquan, je rencontre beaucoup de croyants intolérants. Ils ont soi-disant eu la révélation du qi (l’énergie), ils le voient, ils le sentent, leur groupe «élu» en est l’unique détenteur et leur maître adulé est le représentant du Dao sur terre, leur mission est de convertir les mécréants. Pour authentifier leurs dires, ils se réfèrent à une généalogie digne de la Genèse.

D’autres sont des athées endurcis : «Ni Dieu, ni maître» ; seule compte l’étiquette : «du tai chi, c’est du tai chi». Le pragmatisme avant tout : ils choisissent le cours le plus près de chez eux, au prix qui leur convient et au jour qui les arrange. Le style pratiqué, la philosophie de l’école, les compétences de l’enseignant n’ont pas beaucoup d’importance … c’est du tai chi et c’est ça qui compte. Le relativisme caractérise notre époque postmoderne. Quand ce dernier devient absolu, tout est égal à tout et quand tout est égal à tout, rien ne vaut plus rien.

Plutôt que de laisser agir le pouvoir transformateur du tai chi chuan, les «croyants» comme les «athées» ont transformé cette Voie en bannière justifiant leurs convictions.

Corps-à-corps avec le réel

Je pense pour ma part, que le tai chi chuan est un combat corps-à-corps avec un réel qui résiste. En recherchant la solution à des problèmes de postures, s’édifie petit à petit une intelligence du corps. C’est une pratique vivante ; on devient pratiquant en pratiquant. En parcourant le chemin entre la forme prescrite (le modèle) et la forme effective, on découvre ses ressources. C’est dans ces écarts qu’éclot la maîtrise. Ce travail se réalise dans l’ombre, dans la clandestinité plus que sous les feux des projecteurs.

Il n’existe pas de grilles d’évaluation pour en rendre compte. Ce travail requiert un engagement de la personne entière. Au fil des heures de pratique, les peines se transforment en plaisir et les choses se font d’elles-mêmes. C’est à ce moment qu’il s’agit d’être vigilant : veiller à célébrer la vie plutôt qu’à jouir d’un pouvoir. La transformation de soi peut alors déboucher sur l’accomplissement de soi. L’émancipation ne peut se réaliser que si l’on développe en parallèle son aptitude à penser. Les croyances aveugles mènent tout droit à l’aliénation.

Une relation d’autorité

La relation à l’enseignant (au maître) est déterminante, c’est une relation d’autorité. Cette relation fondée sur l’écoute est acceptable lorsque l’enseignant fait preuve de compétences techniques. Elle est reconnue lorsque celui-ci partage sans compter son expérience et soutenue lorsque ses qualités techniques, intellectuelles et humaines sont avérées. L’autorité ne se concède pas, elle s’acquiert, elle s’incarne dans un corps vivant et est régulièrement remise en cause. Il n’y a pas d’autorité invisible.

Trop souvent, en confondant autorité et amour, on se fourvoie. L’autorité relève de la reconnaissance, l’amour provient de la séduction. Nombre d’enseignements fondés sur l’usurpation (pseudo-maîtres) utilisent la fascination et engendrent des rapports de soumission conduisant à l’aliénation. Le refus de toute autorité propre au relativisme, le souhait d’une société sans hiérarchie empêchent de facto toute transmission (a fortiori traditionnelle). L’obéissance (respect des modes opératoires et des aînés dans la voie) constitue le premier pas sur le chemin de l’autonomie, la transgression le deuxième …

En temps de crise, il convient d’être prudent quant au choix des « valeurs refuges ».

Édito revu Espace Taiji n° 81