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L’enracinement et l’ouverture

Présentation

Les conférences de Jean-Yves Leloup ici réunies furent données au Centre international de la Sainte-Baume au milieu des années quatre-vingt. Elles traitent de sujets aussi divers que la transmission de la connaissance, la tradition contemplative, la psychologie initiatique, l’itinéraire de libération intérieure, la méditation, art de l’instant, et surtout le dialogue possible entre les différentes traditions spirituelles. Car il est vrai que l’ouverture à l’autre peut féconder notre quête spirituelle d’Occidentaux, si nous savons redécouvrir les racines qui sont les nôtres.

Extraits

Une loi de l’existence, une loi de la vie, c’est cette proportionnalité entre le risque encouru, l’aventure tentée, et le succès obtenu : la vie n’est pas avarice, repli sur soi. Elle est communication, invention, découverte de l’inconnu, et toute invention vitale constitue un risque. Toute fécondité implique cette sortie de soi qui constitue un risque et un don.

Lorsque je demandai à Karlfried Graf Dürckheim quels sont les éléments essentiels de ce qu’il appelle – avec Maria Hippius – la « psychothérapie initiatique », il me répondit : 1. Prendre en considération des moments privilégiés de l’existence. 2. Rétablir le lien « moi existentiel » et « Être essentiel » au moyen de l’exercice – l’exercice étant un travail sur le corps que l’on est et purification de l’inconscient. 3. Demeurer à l’écoute du maître intérieur (…)

« Il y a des instants, précise-t-il, où nous nous sentons soulevés hors de la réalité familière. Ce que nous éprouvons alors semble ne pas être de “ce” monde. Il s’agit de moments singuliers, empreints d’un merveilleux qui nous touche soudain. Tout ce que nous vivons est imprégné d’une qualité particulière. Une sorte d’enchantement nous rend à la fois étrangers et tout à fait nous-mêmes. « Impossible de dire ce que c’est, et d’ailleurs, si ce n’était pas indicible, ce ne serait plus “cela”. Même s’il s’agit d’un sens inconnu, cet insaisissable, ce Tout Autre, est cependant réel, car une force qui lui est propre en émane. Elle baigne d’une clarté et d’une chaleur singulières notre conscience de vivre. Pour un instant, dégagés des puissances quotidiennes, nous éprouvons une impression d’extraordinaire liberté » (…)

On peut se sentir alors investi par un souffle plus vaste que le sien, on se sent « inspiré » : ce n’est plus moi, c’est la musique en moi ; ce n’est plus moi, c’est la danse, je suis dansé… Souvent, cela ne dure que quelques instants, mystérieuse coïncidence de l’homme avec le plus profond de lui-même : « transcendance immanente » qu’on appellera sa « muse » ou son « génie » (…)

Devant ces expériences de l’Être ou du numineux, plusieurs dangers nous guettent. Nous pouvons les oublier ou les considérer comme des « grâces » uniques que nous ne connaîtrons jamais plus. C’est là que la voie initiatique se distingue de la voie mystique ! Sur le chemin initiatique, la grâce est un état d’être et de relation avec le réel absolu qu’il s’agit de retrouver par l’exercice ou par l’ascèse (ce « travail bien ordonné sur soi-même », selon la belle définition de Thomas d’Aquin). Sinon, ce « moment de grâce » finit par s’oublier. On le considérera alors avec quelque nostalgie, sans penser qu’il puisse devenir le « fond » permanent de notre existence. Le second danger, c’est le refoulement de ces expériences – ce que Maslow et la psychologie humaniste appellent le complexe de Jonas : « C’est trop beau, c’est trop grand pour moi », « trop beau pour être vrai », « cela ne peut être que mon phantasme »… Intervient alors la tentation si fréquente d’expliquer le plus haut par le plus bas, cette herméneutique réductrice, caractéristique de différents courants de la psychologie contemporaine.

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