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Taijiquan : variations entre mythes et réalités

Taijiquan - Style Wuahao - repousser- Eric Caulier

Le taijiquan comme art de vie

Depuis de nombreuses années, le taijiquan fait partie intégrante de ma vie. Il donne du sens à ma vie. Il est devenu par conséquent une sorte de laboratoire expérientiel. Je l’enseigne tout autant qu’il m’enseigne ; je le questionne et il me questionne. Un jour, les traces laissées par ces milliers de gestes décrits dans l’espace et par les paroles de plus en plus vivantes les accompagnant réclamèrent leur inscription dans la durée. Vint alors le temps de l’écriture. À l’image du geste et de la parole qui l’ont engendrée, elle s’est voulue construite et constructive. Elle est orientante plutôt qu’orientée, dense tout autant que danse, voix et Voie de l’être.

Mystifications

La perte des repères identitaires couplée à une surabondance événementielle et informationnelle entraîne chez nos contemporains une difficulté croissante à distinguer la réalité de l’imaginaire. Dans ce monde désenchanté, terrain de chasse favori des mystificateurs en tout genre, le taijiquan, comme tout art traditionnel, peut être utilisé pour endormir ou pour éveiller. En entrant dans le livre Taijiquan, Mythes et réalités, le lecteur pénètre dans les réalités du Taijiquan. Il y découvre la part d’ombre : confusions sur ses différentes approches, abus de titres et grades, déformation de l’histoire, etc.

Modèle exemplaire

Celui qui poursuit le voyage dépassera la partie affabulation des mythes pour atteindre le modèle exemplaire du Mythe. Le Mythe l’éclairera sur le sens profond du Taijiquan : réunir le Ciel et la Terre en devenant (comme) la montagne. Le mythe conduit à la réelle vision. Celle-ci transforme le combat du serpent et de l’oiseau en communion des forces de vie avec le souffle de l’Esprit.

La légende de la création du Taijiquan devient alors une clef de compréhension du processus créatif en Taijiquan. À un certain niveau, l’adepte en état de reliance (shen : conscience) utilisant son intentionnalité (yi : pensée créatrice) laisse émerger en lui le mouvement. En réitérant l’histoire de Zhang San Feng sur le mont Wudang (le mont du Guerrier Véritable), nous re-créons le Taijiquan au plus profond de nous-mêmes. Alors, nous comprenons comment passer de l’hostilité à l’alliance. Pour qu’une valeur soit transmise, il faut qu’elle vive et qu’elle soit pratiquée. Il ne suffit pas de vouloir donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas.

Construire des ponts

La réalité du Taijiquan m’est apparue par l’établissement de ponts entre Orient et Occident, entre tradition et modernité, entre langage analogique et explication scientifique. Une telle entreprise ne peut se satisfaire de conceptions réductrices et simplistes. Elle ne peut faire l’économie d’une certaine complexité. La recherche de nuances, de précision, de clarté et de véracité est inhérente au geste comme au discours. Je pense que nous avons besoin de ce type de pratique pour préserver notre aptitude à penser librement afin d’agir avec justesse. La compréhension du sens du mouvement réclame de nombreuses répétitions et polissages.

Édito revu Espace Taiji n° 59

Crédit photo : Almereca