Les médecines alternatives connaissent un succès croissant. La médecine scientifique, malgré son développement spectaculaire et ses performances, fait l’objet de multiples contestations. Les médecines alternatives deviennent des thérapies complémentaires dans les pays développés. Parfois, elles réactivent diverses médecines traditionnelles. Jean-Jacques Wunenburger, professeur de philosophie, nous entraîne dans cet ouvrage bien documenté (Belles Lettres, 2008) au coeur des imaginaires et de la rationalité de ces diverses démarches thérapeutiques.
La médicalisation de la vie
La maîtrise progressive de la vie individuelle par la médecine scientifique, particulièrement évidente au XXe siècle, nous fait oublier spontanément ses limites et ses échecs. Si certaines maladies à l’étiologie bien connue se laissent guérir avec succès, la plupart des maladies ou malaises fonctionnels chroniques génèrent des conduites de soin interminables, avec des améliorations et des rechutes périodiques p. 19.
Notre corps n’est pas seulement déterminé par des processus internes, mais est en interaction avec l’ensemble des autres niveaux d’organisation du cosmos. L’analogie du microcosme/macrocosme induit donc une pensée dite holistique (du grec holon, la totalité) et met en oeuvre des principes que l’on retrouve dans certaines théories scientifiques contemporaines comme la systémique, l’écologie, la théorie du chaos (…) p. 26.
Cette voie néo-vitaliste souvent présentée comme incompatible avec la médecine mécaniste, se révèle donc en fait convergente avec l’épistémologie contemporaine. Il en résulte, en particulier, que la maladie ne doit plus être réifiée, enfermée dans un état absolument objectivant, pensé comme rupture d’un mécanisme (…) mais traité comme une variation qui ne bénéficie plus de l’autocorrection du vivant p. 33.
La crise de la médecine
On peut même soutenir que la médecine « officielle », comme les autres sciences et institutions, se pose toujours contre du marginal, de l’hérétique, comme si l’opposition à un savoir et un savoir-faire concurrent permettait de se donner une identité propre et de soutenir des procédures de légitimation p 82.
Car la médecine (…) ne peut continuer sur sa lancée actuelle, la disproportion entre coûts et résultats devenant déjà prohibitive, sans parler des inquiétudes éthiques soulevées par des techniques intempérantes p. 84.
Or ce qui unit d’emblée cette constellation de courants et de pratiques alternatives, c’est leur commune critique du modèle mécaniste de la médecine p. 85.
Ces fondements scientifiques ont ouvert la voie à des expérimentations nouvelles et à une primauté du physique sur le vital (…) p. 87.
Au contraire, les épistémologies antiréductionnistes envisagent généralement une causalité immanente au psychisme, en posant que des contenus psychiques s’inscrivent dans le corps comme modes d’être au monde p. 93.
(…) il y aurait un enchevêtrement complexe des parties dans l’individu mais aussi des interactions entre milieu interne et milieu extérieur, voire le cosmos, renouant ainsi avec les plus anciennes intuitions de la cosmologie p. 94.
Les médecines alternatives
Presque tous les adeptes des médecines alternatives ont intégré plus ou moins, dans leur compréhension de l’homme la notion d’énergie. (…) On pourrait même penser que le recours privilégié, répétitif, à ce terme dans un discours signe l’appartenance au champ des médecines alternatives. Le terme d’énergie a fini par supplanter la plupart des autres dans les médecines alternatives p. 184.
L’énergie vitale a été très tôt associée à une force de l’imagination, l’imagination passant pour la faculté de la mémoire et de l’anticipation, de visée d’une autre réalité qui détache en quelque sorte le sujet de sa présence immédiate du monde (…). Dans cette perspective, la maladie est signe d’un déficit énergétique global, d’une fragilité du sujet qui se laisse envahir par des forces dissidentes, sécessionnistes, qui l’affaiblissent. La guérison relèverait dès lors d’un rétablissement des énergies (…) p. 188.
Les sortilèges des médecines parallèles
Il convient donc de prendre la mesure et la consistance de l’effectivité, de la puissance propre de ces pratiques sans omettre de dénoncer les formes les plus équivoques et les plus fantaisistes p. 197.
Ces dérives, voire délires, sont particulièrement fréquents dans les courants psycho-spirituels, les sectes religieuses (…) p. 211.
- l’intolérance (…) ces médecines n’aiment pas voisiner avec d’autres, elles revendiquent l’exclusivité, avec une cohorte de promesses de changements spectaculaires (…).
- les promesses infondées : de cet exclusivisme intempérant et hautain, les médecines alternatives glissent insensiblement vers de fausses promesses (…).
- le charlatanisme ; dans certains cas, des spécialistes se drapent vraiment dans les habits du charlatan et inventent des procédés fictifs censés apporter la guérison, qui devient à proprement parler miraculeuse pp. 213-214.
Polythérapies
Ces considérations sur la complexité de notre corps ne peuvent par conséquent que nous inciter à défendre un traitement polyclinique de la maladie pour composer ensemble, selon une échelle à définir, les médecines scientifiques et non scientifiques p. 251.