Bienfaits au niveau de la santé
Les bienfaits du tai chi chuan au niveau de la santé sont de plus en plus mis en évidence. Nombre de personnes mènent par ailleurs une vie de plus en plus trépidante. Elles sentent donc la nécessité de se ressourcer, de retrouver leur corps, de l’écouter, de le comprendre. Nombre de nos contemporains ont envie de ralentir. La lenteur des gestes de la « boxe du faîte suprême » les interpelle, les questionne, les séduit. Cette pratique fait en outre écho à leur besoin d’équilibre.
Mais comment évaluer la pertinence de telle approche par rapport à telle autre ? Comment juger de la compétence d’un enseignant ? Les arguments les plus utilisés sont l’ancienneté de l’art, l’authenticité de la forme et la filiation de l’enseignant. Le qualificatif de traditionnel légitime tout à la fois l’art, la forme et l’enseignant. Toute réflexion et discussion s’avèrent dès lors inutiles. L’engagement proposé relève par conséquent d’un acte de foi et non d’une démarche critique.
Une création récente
Cette tradition remontant à la nuit des temps a prouvé, tout au long de son histoire, son incontestable efficacité pour vaincre l’adversité : la maladie ou l’agresseur au coin de la rue. Nombre de tenants de cette vision traditionnelle revendiquent néanmoins la confirmation des effets préventifs/thérapeutiques du tai chi chuan mis en évidence par des approches scientifiques contemporaines.
Cependant, ces mêmes approches scientifiques contemporaines montrent que le tai chi chuan est une pratique de soi relativement jeune. Les sources historiques fiables ne mélangent pas les croyances et les analyses scientifiques. Elles n’érigent pas les mythes en vérité historique. Ces sources ne travestissent pas les faits au nom d’une idéologie. Celles-ci présentent néanmoins le tai chi chuan comme une création récente.
Le terme tai chi chuan n’est en fait attesté par écrit qu’à la fin du 19ème siècle. Le premier manuel date de 1921 (Catherine Despeux). La première école est fondée en 1910 à Shanghai et la première compétition se déroule à Nanjing en 1928 (Alexandra Ryan). L’invention du tai chi chuan – du qi gong, de la médecine traditionnelle chinoise – comme traditions pluricentenaires ou plurimillénaires peut être vue comme une réaction de défense de la Chine contre l’impérialisme culturel occidental (Douglas Wile, David Palmer, Elisabeth Hsu).
L’influence du contexte
Les écoles s’affrontent sur :
- les aspects à privilégier (thérapeutique, martial, méditatif, compétitif)
- la question des styles
- les degrés de filiation
- les reconnaissances institutionnelles (états, fédérations)
Tout cela occulte les motivations inavouées et les enjeux réels. En effet, le pouvoir de décréter ce qui est légal et légitime permet augmenter ses parts de marché. Alors qu’est-ce qui fait finalement la valeur du tai chi chuan ? Lorsque l’on prend conscience qu’il n’existe pas une essence du tai chi chuan, on peut alors se concentrer sur ses aspects essentiels. On se libère de la peur de trahir cette essence ou de l’obligation de la retrouver.
M’appuyant sur plus de trente ans de pratique, d’étude, d’enseignement, de recherche, de réflexion, je pense que le tai chi chuan n’existe pas en lui-même. Il est ce que les pratiquants en disent et en font. Les contextes historiques, sociaux et culturels dans lesquels il a été/est plongé, le façonnent et le transforment. Ses diverses facettes en interactions avec différents milieux sont perméables à de multiples influences. Elles se recomposent sans cesse au-delà des époques, des pays, des cultures. Cette approche constructiviste m’amène à considérer la tradition non pas comme un bloc homogène mais comme un corp(u)s malléable, transformable, modulable à souhait.
Une approche structurée et structurante
Pour être pertinentes, ces opérations nécessitent néanmoins une connaissance approfondie du domaine, une vaste culture, une compréhension des contextes et peut-être surtout un réel souci de l’humain. Dès lors que l’on quitte le domaine de la foi et des croyances, une approche multi styles soutenue par une pédagogie structurée et structurante, des formes équilibrées, une étude des différentes facettes étayée par des éclairages scientifiques (biomécanique, sinologie, anthropologie, sciences cognitives, etc.) fournissent une réelle plus-value au tai chi chuan.
La continuité ne se trouve pas dans des généalogies fantaisistes mais plutôt du côté des idées. Les exercices spirituels, dans la Grèce antique, visaient à transformer l’attention et les perceptions habituelles, pour préparer la mutation intérieure entraînant un changement radical de la manière de voir et de sentir.
Pour Pierre Hadot, le philosophe en quête de sagesse recherche la paix de l’âme, la liberté intérieure et la conscience cosmique (sensation d’appartenance au Tout humain et cosmique). Nous devenons philosophes/adeptes du tai chi chuan en nous livrant à un examen approfondi de nous-même et de toute chose. C’est de cette manière que nous pouvons abandonner toutes les autoroutes aliénantes et trouver les sentiers de la libération intérieure.
Édito revu Espace Taiji n° 85