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Souci de soi, conscience du monde – Raphaël Liogier

Souci de soi, conscience du monde constitue le mélange paradoxal qui a donné naissance, selon Raphaël Liogier  (Armand Colin, 2012), à la religion dominante de notre temps. L’auteur nous montre comment l’individuo-globalisme imprègne tous les domaines de la vie humaine. On le retrouve partout : de la santé à l’entreprise en passant par la politique, le sport et l’éthique. Ce nouveau mode de pensée consacre l’authenticité, le naturel, le ressourcement et l’énergie. Diverses pratiques nouvelles et anciennes l’accompagnent.

souci de soi, conscience du monde - Liogier

Souci de soi, conscience du monde : introduction

Il n’y a pas, en dépit des apparences, de réelles multiplications des croyances mais plutôt la démultiplication d’un nouveau et même schéma mental (…) les manières de croire – la même chose ! – se multiplient, comme si la globalisation n’était pas seulement matérielle, économique, informationnelle, mais aussi et peut-être d’abord imaginaire p. 9.

(…) il s’agit toujours pour le cherchant postindustriel de se rapprocher de la vérité la plus originelle, la moins dévoyée. Les traditions instituées elles-mêmes n’étant aujourd’hui considérées que comme des véhicules partiels et partiaux d’une même vérité. Le cherchant postindustriel, en quête d’expériences, adhérant à de multiples mouvances, voyage d’une tradition à l’autre, mais ne varie pas dans son adhésion à la vérité individuo-globale fondamentale dont il guette inlassablement les traces afin de la reconstituer en lui p. 20-21.

Le mélange des genres (…) n’est plus dans la culture postindustrielle toléré périodiquement mais devient norme sociale et exigence morale générale (…) l’homme postindustriel expérimente par hybridations successives la vérité de l’interdépendance p. 23.

Être sans limites : unique et universel

L’individuo-globalisme sacre la singularité individuelle, ce que l’individu a de plus intime, de plus profond, de plus lui-même, mais toujours dans son rapport avec l’environnement, au sens large de ce qui l’entoure naturellement p. 29.

Les modalités de ces voyages sont multiples : vers la nature, vers le sauvage, vers l’origine, vers l’antiquité et vers l’Orient bien sûr. S’il est un discours simultanément savant et vulgaire, à la fois élitiste et généralisé, au coeur de la dynamique individuo-globale, c’est bien celui qui narre l’Extrême-Orient, qui n’est plus un espace géographique situé mais l’instance stratégique du passage de l’idéal cosmique finitiste au sentiment océanique infinitiste, et du passage de l’idéal traditionnel de la personne à la culture de Soi individualisée pp. 40-41.

Si bien que les concepts d’infini et d’énergie des individuo-globalistes (…) n’ont qu’une confuse parenté avec l’infini et l’énergie des systèmes extrême-orientaux (…) Il ne s’agit pas, du reste d’un malentendu contre lequel on peut lutter, mais du processus même d’installation de l’individuo-globalisme qui s’approprie et réinterprète dans sa matrice idéologique tous les systèmes mythiques et philosophiques avec lesquels il interagit p. 42.

Orient fantasmé

L’éloge de l’altérité chinoise fait par François Julien (…) participe par l’hyperbolisation de l’autre encore une fois, en l’occurrence de l’autre Chinois, à la mise en scène hypermoderne de la diversité culturelle (…). Le taoïsme est une des cibles principales des spéculations sur les traditions qui suivent la Nature, qui ne s’imposent pas à elle, ne disposent pas d’elle, et lui sont pour cela hautement légitimes p. 44.

Le pouvoir chinois lui-même (…) au sortir de la chasse antireligieuse propre à la Révolution culturelle, a fini par comprendre qu’il pourrait tirer d’importants dividendes de cette situation en mettant en scène des éléments de sa culture religieuse qui sont l’objet de fantasmes des masses occidentales jusque-là considérés comme archaïques dans la pur vulgate maoïste à l’instar des aspects bouddhistes et taoïstes des arts martiaux p. 45.

Le monastère de Shaolin (…) fut reconstitué à la fin du XXe siècle comme on plante un décor, pour accueillir des Occidentaux fascinés en stage d’initiation (ou de perfectionnement) à ses arts martiaux et hypertraditionnellement modernisés. Des groupes de moines/athlètes souvent plus athlètes que moines ont été réimplantés sur place et envoyés en tournées (…) Ces hyperbonzes martiaux sont les employés d’une industrie globalisée très lucrative p. 46.

L’Extrême-Orient, avec quelques notions récurrentes (…) sert, si l’on veut, de fond de sauce aux plats multiples de la cuisine individuo-globale (…) la science elle-même sera réinterprétée par le qi (…) p. 47.

L’énergie, substance aujourd’hui révérée par excellence, divinisée (…) nous parle, nous traverse, nous accompagne (…) p. 49.

Les décors nécessaires

Même si l’hypermodernité individuo-globale est par principe, dans son mythe même, mobile et labile, elle se joue entre trois décors qui, eux, sont toujours les mêmes : l’hyperscience, science plus que scientifique; l’hypertradition plus que traditionnelle ; l’hypernature, Nature plus que naturelle p. 133.

Cette science, cette tradition et cette Nature esthétiquement diversifiés, aux contrastes hyperboliquement valorisés, sont les scènes sur lesquelles le sujet postindustriel mène son existence hypertextuelle, glissant d’expérience en expérience pour écrire une vie kaléidoscopique mais néanmoins cohérente et unifiée p. 135.

Ces décors – comme les thématiques du bien-être, de la gnose et de la créativité – sont omniprésents dans l’ensemble de la culture des sociétés industrielles avancées (…) p. 137.

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