Sage ou héros
La figure du héros prédomine dans l’imaginaire occidental. Le modèle du sage est par contre la valeur suprême en Extrême-Orient. Le héros est en quête de Vérité, il se bat pour l’imposer. Porté par son idéal, le héros ne ménage toutefois pas ses efforts. Plus les éléments sont contraires, plus son prestige est grand. Du point de vue du sage, ce comportement est en fait stérile, insensé. Le sage observe d’abord la disposition des choses existantes. Il est à l’écoute de leur potentiel, il repère les tendances à l’état de germes. Il oriente ensuite en accompagnant et en favorisant l’éclosion de telle ou telle potentialité. Bref, le sage suit, selon la belle expression de François Jullien, la propension des choses. Le héros veut dominer la/sa nature, le sage collabore avec elle. C’est là la vertu du non-agir : Celui qui ne force rien peut tout (Daodejing).
Sagesse pratique
La sagesse n’est pas un état de perfection, mais une voie de perfectionnement. Ni idéal, ni ambition, elle est une disposition à la vigilance envers soi-même, attention aux autres, ouverture au monde. Elle se manifeste par une présence rayonnante.
Les anciens sages chinois avaient perçu les limites des sermons, des leçons de morale. Ils nous ont légué des pratiques. Le tai chi chuan, semblable à l’eau, remplit les creux, contourne les obstacles et s’adapte sans perdre sa propre nature.
Spiritualité par le corps
La spiritualité du taijiquan s’incarne, se vit et s’exprime dans l’action. Les anciens maîtres taoïstes avaient compris que l’on ne peut agir sur l’esprit en profondeur qu’en s’associant au monde par gestes. Les approches purement intellectuelles et conceptuelles tout autant que les voies purement contemplatives n’aperçoivent pas que la source de la joie intérieure ne peut venir que d’un rapport de corps à corps se transformant en un corps/accord avec la matière. Ces approches dévitalisées ne réalisent pas que l’accès aux régions de la volonté libérée, désasservie, passe par le corps.
Un mode d’être
Ni spectacle, ni performance, le taijiquan est une pratique ludique, inventive et restauratrice. Cette sagesse opérative se veut redécouverte de l’intelligence du corps, éducation à la sensibilité, accordance aux rythmes naturels, reliance à soi, aux autres, au monde. Petit à petit, le pratiquant se libère des pièges du langage et de son grillage catégoriel pour se reconnecter aux forces dynamiques qui traversent le réel. Ce mode opératoire stimule le dynamisme interne et nourrit le principe vital. Lorsque le lâcher prise s’installe, souplesse et flexibilité deviennent un mode d’être et l’habitation de nous-mêmes s’étend aux différents domaines de notre vie.
Édito revu Espace Taiji n° 73
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Crédit photo : Almaga